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on avait bossé jusqu'au soir. je haissais cette plaine interminable, cette sensation de n'être rien, au milieu de nulle part. malgré les paroles de Brel le ciel n'est pas toujours bas là haut...surtout l'été. on avait transpiré comme des fiévreux emmitouflés. j'ai failli attraper ma première insolation, ou coup de chaleur je ne sais pas trop. C'était le premier jour. Après j'ai appris à me protéger, et à hydraboire (tout ça pour ne pas écrire le mot à la mode) une insolation dans le chnord, ça sent presque le bobard pour touriste, et pourtant...je l'ai pleuré mon crachin breton. D'ailleurs lui aussi est condamné par le réchauffement climatique… Sans avoir besoin de coach sportif, nous procédions à des étirements pour lutter contre les contractures, le mal de dos en fin de journée. Les jeunes en tout cas, mais les vieux venus du désert ou de ses confins, semblaient taillés dans du marbre. leurs yeux brillants et leur raideur trahissaient pourtant leur fatigue. Ils nous observaient nous étirer et souffler de soulagement . Allez, encore une journée de torture de tirée! Bercés par le ron ron du camion qui nous ramenait vers le repas et le coucher, nous fermions les yeux, pour voler quelques secondes de demi sommeil, et aussi pour ne pas être déprimés par le paysage d'une platitude et d'un monotone qui font la renommée du pays. Des tas de betteraves, comme uniques montagnes, la poussières des engins agricoles comme uniques embruns. Mais un peu, si peu d'argent de poche pour certains, de la monnaie au cours nettement plus élevé pour d'autres. nous formions une sacrée équipe. Disparate, assez silencieuse, ce qui est logique vu la diversité des langues…. | ||
Ce petit bonheur de la bière du soir, son pétillement, sa relative fraicheur, ses bulles qui fêtaient l'arrêt des hostilités. Un petit bonheur payé un peu plus cher qu'en magasin, car le patron allait lui même les chercher. Il n'y a pas de petits bénéfices n'est ce pas… Habituellement je n'aime pas la bière. Sans jeu de mots elle me gonfle. Mais quand on a la gorge sèche, le corps lourd, et l'envie de s'évader, je ne connais rien d'aussi efficace. Bien entendu pas question d'en abuser, l'alcool ne fait pas bon ménage avec la force de travail exigée par un salaire. j'avais senti ses yeux posés sur moi. Enfin sur ma bière...je l'avais repérée, car elle détonnait au milieu de notre groupe. Une beauté affublée d'un compatriote tout aussi beau qui échangeaient dans une langue slave. Des polaks appris-je par la suite. Elle louchait donc sur ma bière; une lueur de convoitise qui me fit sourire. Par économie sans doute, ils n'achetaient que l'essentiel pour ramener les précieux euros en polakie. A part quelques belges et français, la bière du soir était délaissée par le reste des forçats volontaires. . Pour être franc, la beauté des femmes me rend souvent bête à manger du foin...gentil mais bête. Je lui demandais alors si je pouvais leur offrir une canette de ce breuvage . Je dis "leur" , mais si le polak avait été seul, il aurait pu crever. Leurs yeux s'allumèrent malgré de timides dénégations. Bon prince, je n'insistai pas et leur tendis les canettes. A la première gorgée, ils se regardèrent...avec un air joyeux qui aussitôt me plongea dans une tristesse réactive. Dans certaines situations, à certains moments, Quoi de plus déprimant que le bonheur d'autrui…. | ||
Et puis vint, car il fallait bien que cela arrive, le dernier jour de nos tourments. Du moins pour quelques uns qui devaient retrouver leurs chères études. D'autres rentraient au pays, et d'autres restaient pour d'autres travaux saisonniers ou agricoles. On ne pouvait pas se quitter sans un mot, sans un au revoir… ce n'est pas que nous avions acquis un véritable "esprit d'équipe", loin de là. Les fractures sociales, culturelles se lisaient dans nos silences et nos regards. Mais malgré tout nous étions compagnons d'infortune, malgré notre salaire censé nous enrichir. Compagnons aux reins enraidis, à la fatigue gérée au jour le jour, à la soif ardente sur la plaine dont on voyait l'évaporation vibrante au loin. Alors, l'un d'entre nous demanda qu'on double les bières et que nous chantions pour ce dernier soir.. Les belges se lancèrent les premiers dans l'arène. Deux gars bilingues nous offrirent le plat pays de brel en flamand. Sous le charme, j'en vins à me demander si les accents appuyés de cette langue n'habillaient pas mieux de poêsie la platitude de la région…. beaucoup déclinèrent l'invitation "à se produire" Je houspillai les polonais en promettant des bières, et nous frappâmes dans nos mains pour les motiver. Ils chantèrent les yeux perdus au loin, une jolie mélodie, et finirent en riant en me montrant avec ostentation la table où scintillaient les verres à bière. Ce fut mon tour de me faire vigoureusement encourager et pousser à la chansonnette. Je balançai "la ville que j'ai tant aimé" de tri yann. Une fois fini, je m'acquittai de ma promesse de bières supplémentaires envers les polaks. Pour rester dans l'ambiance trois jeunes français nous offrirent une chanson très canaille mais avec enthousiasme et des voix à la limite de la rupture. la fatigue s'était évanouie...jusqu'au matin suivant où les courbatures m'accompagnèrent jusque dans le train du retour. je sommeillai, perdu dans les images de ces instants enfuis à jamais…. | ||
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merci trazi | ||
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