Exploration du désir sexuel chez quatre femmes dans une perspective féministe
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Le féminisme radical matérialiste Les deux courants de pensée présentés précédemment, oeuvres principalement d'auteures féministes françaises, malgré leur apport concernant la sexualité féminine, ne permettraient pas d'identifier clairement le contrôle social qui serait exercé sur les femmes par leur sexualité. Ce contrôle social se matérialiserait par l'appropriation du corps des femmes à travers des conditions matérielles et culturelles. Soulignant l'apport des auteures féministes françaises concernant les courants de pensée, Bordo précise toutefois qu'elles offriraient peu de matériel concret d'analyse du corps de la femme comme lieu de contrôle social. "The work of French feminists has provided a powerful framework for understanding the inscription of phallocentric dualistic culture on gendered bodies. But so far, French feminism has offered very little in the way of concrete, material analysis of the female body as a locus of practical cultural control." [Bordo, Susan. "The Body and the Reproduction of Feminity: a Feminist Appropriation of Foucault". In Gender/Body/Knowledge: Feminist Reconstruction of Being and Knowing, sous la dir. de Arleen B. Jaggar et Susan Bordo, New Jersey, Rutgers, University Press, 1992, p. 27.] Le courant de pensée du féminisme radical matérialiste, ayant comme objet d'analyse les manifestations tangibles de violence et de contrôle social à l'égard des femmes par le viol, la pornographie, ou autres, serait celui qui aurait généré le plus d'écrits traitant de ce sujet. Le corps serait un fait de culture. Des normes concernant son développement, sa croissance, son entretien et bien d'autres lui seraient imposées. Collin démontre clairement à travers ses écrits le lien entre la culture et le corps. Selon elle, non seulement le corps humain, son port et sa gestualité seraient-ils informés culturellement, mais ils varieraient aussi d'une société à une autre. Dostie, dans une approche sociologique et non féministe, partage l'opinion de Collin sur le lien entre la culture et le corps. Il croit que l'incorporation sociale des individus et leur intégration à la communauté passeraient par le façonnement de leur corps. Des normes seraient imposées à tous les individus. Ces derniers seraient ainsi l'objet d'une constante normalisation sociale. Toujours dans une approche sociologique, Dostie affirme qu'il existerait des différences dans l'incorporation sociale des individus. Ces différences seraient reliées à l'appartenance à un sexe. Il est d'avis que le corps des femmes aurait été soumis à des normes plus contraignantes que celui des hommes. Le modelage du corps à travers son expression, sa présentation, son maintien, etc. assujettirait les femmes et les rendrait inégales aux hommes. Ce qu'il faudrait, en fait, c'est de reprendre chacun des énoncés contenus dans ce chapitre sur la socialité du corps - voire même la presque totalité de ceux que renferme ce mémoire - pour les nuancer et les particulariser en fonction de ce marqueur essentiel de la corporéité que constitue l'appartenance à un sexe. [Michel Dostie, L'investissement politique des corps, Université du Québec à Montréal, 1987, p. 75.] Cette différence dans le modelage du corps entre la femme et l'homme semble être ce qui choquerait le plus les tenantes du courant de pensée du féminisme radical matérialiste car elle permettrait l'assujettissement des femmes aux hommes. Collin a identifié trois formes d'exploitation du corps de la femme: corps reproducteur, corps producteur, corps objet sexuel. Poussant plus loin l'analyse, les tenantes de ce courant de pensée démontrent que le corps appartiendrait à l'autre, soit l'homme. Le corps des femmes semblerait devoir se conformer au bon vouloir de l'autre. Le viol, la prostitution et les mutilations physiques sont autant de pratiques qui rappelleraient à la femme que son corps ne lui appartiendrait pas. Et même à travers la maternité, qui aurait dû être une source de richesse pour la femme, cette dernière réaliserait que son corps ne serait qu'un objet au service de l'homme: "La femme, dont, il est impossible de suspecter l'intervention dans le travail d'engendrement de l'enfant, devenant l'ouvrière anonyme, la machine, au service d'un maître-propriétaire qui estampillera le produit fini." [Luce Irigaray, Spéculum de l'autre femme, Paris, Minuit, 1974, p. 21.] Collin affirme que le corps des femmes n'existerait pas. Il n'existerait pas car, rejoignant-là la pensée d'Irigaray, son sexe serait le miroir de celui de l'homme. Son corps, son sexe seraient définis en comparaison avec ceux de l'homme. [...]c'est que le corps des femmes n'existe pas: il n'est que le prolongement du désir de l'homme tel qu'il s'inscrit dans les comportements privés et dans les structures socio-culturelles, dans la pratique et dans sa représentation. Le corps des femmes est un texte dicté par l'homme. [Françoise Collin, Le corps des femmes, Paris, Complexe, 1992, p. 31] Le corps de la femme, traité en objet, en bien, serait perpétuellement soumis au regard de l'autre. Il serait objet de jugement. Son corps serait évalué, apprécié, estimé, mesuré, pesé. La femme s'identifierait aux regards portés sur elle, sur son corps. Elle pourrait aussi s'identifier à un seul de ces regards. Et comme le souligne Dostie, l'objectivation du corps de l'homme par le regard serait rarement le lot de l'aventure masculine. Précisant que le regard que pose l'homme sur le corps de la femme ne la situerait pas nécessairement toujours en position d'objet, Valverde relie toutefois la capacité du regard masculin à objectiver le corps de la femme au pouvoir que l'homme aurait sur la femme: "Si les hommes n'avaient pas tant de pouvoir sur les femmes dans la réalité, le regard masculin n'aurait pas pour effet d'objectifier tout ce qu'il touche." [Mariana Valverde, Sexe, pouvoir et plaisir, Montréal, Éditions du Remue-ménage, 1989, p. 193.] Questionnant les normes imposées aux femmes concernant leur apparence corporelle, les tenantes de ce courant de pensée auraient grandement contribué à l'émergence d'une analyse féministe de la norme du poids idéal qui serait exigé des femmes. Dans un numéro spécial de la revue La vie en rose traitant du rapport des femmes à la nourriture, Guénette y soulève, dans son article Est-ce ainsi que les femmes mangent?, les différents rôles de la nourriture. Selon elle, la "bouffe" serait politique, une industrie, une contrainte sociale, un plaisir, un moyen d'expression et plus encore. Elle y dénonce la "bouffe-névrose" qui renverrait les femmes à leur poids et à leur image plutôt qu'à leurs sens. Le modèle-minceur qui serait imposé aux femmes les amènerait à vivre de façon répétitive les cycles boulimie-privation. Épuisées de ne pouvoir correspondre au modèle qui semblerait valorisé malgré leurs efforts, les femmes mangeraient afin d'échapper aux stéréotypes sexuels en vogue. Manger pour grossir deviendrait alors un moyen d'exprimer un refus c'est-à-dire un moyen d'affirmation. Manger deviendrait aussi un moyen de compenser les amants qu'elles n'auraient pas ou encore le travail inintéressant qu'elles occuperaient. À l'adolescence, grossir deviendrait pour la fille un moyen de refuser la sexualité et d'échapper au jeu de la séduction qui débute. Discutant de l'obésité chez les femmes, Guénette affirme que cette obésité serait un problème social qui exprimerait une réponse à l'inégalité des sexes. Mais l'obésité a à voir avec la protection, la sexualité, l'éducation, la force, les limites, les soins maternels, la substance, l'affirmation et la rage. C'est une réponse à l'inégalité des sexes [...]. C'est une réponse aux nombreuses manifestations oppressives d'une culture sexiste. [Françoise Guénette, "Est-ce ainsi que les femmes mangent?", La vie en rose, no 11, 1983, p. 28.] Le courant de pensée du féminisme radical matérialiste, riche de ses écrits concernant l'appropriation du corps des femmes, semble mettre en évidence les pressions et les changements constants que vivraient les femmes en rapport avec leur corps. Nous croyons que la soumission du corps des femmes à des normes différentielles et assujettissantes, aurait un impact sur leur sexualité, impact affectant même leur désir sexuel. Les trois courants de pensée présentés nous permettent d'identifier deux lieux d'oppression des femmes, soit l'identité et le corps, susceptibles d'influencer l'expression du désir sexuel des femmes. Les courants, quoiqu'extrêmement riches en ce qui a trait à la conception de la sexualité des femmes, semblent demeurer pauvres en ce qui a trait à une compréhension du désir sexuel des femmes. Ils alimentent ainsi notre réflexion sans toutefois parvenir à la combler. Toutefois, nous retiendrons quatre aspects qui se rattachent à la sexualité des femmes et qui alimenteront notre étude du désir sexuel féminin. Ces aspects seront la sexualisation des parties du corps de la femme, la désappropriation de son corps, le façonnement de l'identité féminine et enfin le simulacre de la féminité. |