Exploration du désir sexuel chez quatre femmes dans une perspective féministe
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2.3 La réalisation des entrevuesDans notre étude, le choix de l'entrevue non directive comme instrument de collecte des données s'est imposé dès le début. Notre choix fut orienté par l'importance que semble accorder ce type d'entrevue à la subjectivité de la personne interrogée. Nous croyons que, tel que le souligne Michelat, la personne interrogée serait la plus apte à explorer le champ du problème qui lui est posé, en fonction de ce qu'elle pense et ressent. De plus, l'entretien non directif permettrait à la participante d'orienter, selon ses propres motivations, le sens de l'entretien en empêchant que la chercheuse impose ses propres catégories. Suite à la réalisation d'entrevues, nous fûmes confrontées à la reconnaissance de l'apparition de questions directives de la part de la chercheuse à l'intérieur même de l'entretien non directif. Désirant utiliser l'ensemble des données recueillies, nous eûmes à nous questionner sur l'apport scientifique que pouvait avoir le contenu des réponses provenant des questions directives. De façon plus précise, nous nous sommes questionnées sur la scientificité des différents types d'entretiens desquels relèvent les types de questions et le contenu des réponses. Les débats entourant la scientificité des types d'entretiens ne dateraient pas d'aujourd'hui. Selon Poupart, plusieurs chercheurs auraient tenté de légitimer la scientificité du type d'entrevue qu'ils privilégiaient. Nous ne désirons pas résoudre ce débat. Nous préférons le ramener ici dans le but de maximiser l'utilisation des données recueillies en poursuivant le questionnement entourant la scientificité des types d'entrevues. Poupart souligne que, tant l'entretien standardisé que l'entretien qualitatif, seraient imprégnés de biais relatifs à l'entretien. Selon lui, les partisans des deux groupes auraient tenté d'éliminer ces biais par divers moyens afin de démontrer la valeur supérieure de leur méthode. Cela ne les aurait toutefois pas mis à l'abri de critiques. Ainsi, certains biais demeureraient tout de même présents tant dans l'entretien standardisé que dans l'entretien qualitatif. Pour sa part, Kandel soutient qu'il serait illusoire de penser qu'un entretien non directif puisse supprimer tous les effets liés à la présence de l'intervieweuse. Elle souligne que le contenu de ce que dira la personne interrogée serait influencé par la perception que cette dernière se ferait de l'intervieweuse. Nous avons rencontré cette difficulté lors de la réalisation de notre première entrevue. Désirant pallier à cette difficulté, nous avons dû changer la consigne de base de nos entrevues. Dans la même ligne d'idées, Blanchet a démontré comment les reformulations en apparence les plus neutres ne seraient pas aussi neutres qu'on le prétendrait. Il a montré que les variations au plan de la forme même des reformulations amenaient les personnes interrogées à répondre différemment sur un thème identique. De son côté, Cicourel soulève un biais semblable quant à l'entretien standardisé. Tel que le rapporte Poupart à l'intérieur de son article, Cicourel souligne que la standardisation des questions et réponses telle qu'elle se pratique dans l'entretien structuré n'empêche ni les interinfluences de l'interviewer et de l'interviewé, ni que le contenu de ce qui est dit par chacun soit marqué par l'évolution même des échanges en cours d'entretien. [Jean Poupart, "Les débats autour de la scientificité de l'entretien", In Les méthodes qualitatives en recherche sociale. problématiques et enjeux: Actes du Colloque du Conseil Québécois de la recherche sociale, 1993, p. 105.] Poupart résume ce débat en affirmant que la réalisation d'un entretien de quelque type que ce soit irait au-delà du seul fait de poser des questions ou de recueillir des réponses. Selon lui, la réalisation d'un entretien impliquerait une forme d'interaction sociale qui irait bien au-delà des simples échanges verbaux. Ce serait un échange social qui serait imprégné d'avantages et d'inconvénients. Il considère alors que le développement d'un instrument scientifique exempt de biais serait restrictif, utopique et peu souhaitable. Ainsi, les données recueillies suite aux questions directives de notre part furent traitées de façon différente à l'intérieur de notre étude. Nous les distinguons des autres données recueillies par l'utilisation du caractère d'imprimerie italique dans les citations lorsque nous faisons appel à elles au cours de notre étude. Au début de notre étude, nous avions choisi de dire aux sujets que le thème en était l'identité sexuelle car nous préconisions cet axe pour aborder l'étude du désir sexuel féminin. Suite à la réalisation de la première entrevue, nous avons dû effectuer quelques changements motivés par deux principales constatations: le sujet ne saisissait pas exactement la notion d'identité sexuelle et il pouvait soutenir un discours féministe. Ne connaissant pas la notion d'identité sexuelle, le sujet nous demandait de la lui définir ce qui avait pour résultat d'influencer ses réponses. Concernant le discours féministe, nous supposions que le sujet désirait nous plaire par ses réponses compte tenu du fait qu'il nous connaissait déjà et/ou qu'il choisissait des réponses à connotation féministe car il nous connaissait dans ce contexte. Il nous apparaissait que la perception que le sujet se faisait de la chercheuse avait une influence sur le contenu de ses réponses. Les données recueillies au cours de l'entrevue avec ce premier sujet furent mises de côté et n'apparaissent pas à l'intérieur de notre étude. Désirant pallier à ces deux problèmes rencontrés lors de la première entrevue avec un sujet, nous avons choisi d'aborder directement le thème du désir sexuel. Ce choix nous permettait d'éviter l'émergence d'une définition de la femme qui serait influencée par notre propre perception ainsi que de réduire le risque de l'apparition d'un discours féministe cherchant à nous plaire.
Suite à l'énonciation de la consigne, les différents sujets se sont montrés assez loquaces. Désirant nous tenir le plus près possible de la non-directivité des entrevues, nous avons fréquemment effectué des clarifications afin de préciser les dires de la personne interrogée. Lorsque le sujet abordait un thème soulevé par une autre participante, il nous arrivait de lui demander des clarifications dans le cas où l'information qu'elle amenait entrait en contradiction ou soulevait certaines incohérences face à l'information que nous avions déjà recueillie. Toutes les femmes que nous avons contactées pour participer à notre étude ont accepté. Nous avons réalisé une seule entrevue avec chacune des participantes. Les entrevues avaient une durée variable de 60 à 90 minutes. Chacune des entrevues fut réalisée au domicile des participantes après avoir identifié le temps leur convenant le mieux. Chacune des entrevues fut enregistrée sur bande magnétique avec le consentement des participantes. Pour assurer l'anonymat des participantes, nous avons eu recours à l'utilisation d'un pseudonyme pour chacune d'entre elles. Les noms de toute autre personne pouvant faciliter l'identification des participantes furent aussi modifiés. A la suite de chaque entrevue, nous avons fait la transcription intégrale et immédiate de celle-ci. Le codage et l'analyse du matériel recueilli furent réalisés, tel que proposé par Glaser et Strauss, parallèlement à la poursuite des autres entrevues. |
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