Exploration du désir sexuel chez quatre femmes dans une perspective féministe
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3.2.2 La métamorphose de l'apparence physiqueNous appelons la métamorphose de l'apparence physique ce à quoi la femme semble devoir se plier afin de répondre aux critères de ce que serait la beauté. Cette métamorphose physique d'elle-même impliquerait qu'elle y investisse du temps. Le temps qu'elle occuperait à se métamorphoser lui ferait parfois investir davantage d'elle-même sur son aspect externe plutôt qu'interne. Éloignée de son aspect interne et axée sur son aspect externe, la femme le serait également de son propre désir sexuel. La métamorphose de son apparence physique dénoterait aussi une participation active de la femme à sa propre sexualisation. Élaborant sur la sexualisation du corps de la femme, les auteures féministes soulignent l'importance que prendrait une "belle" apparence physique chez la femme. Dénonçant le message qui serait envoyé implicitement aux femmes par le biais de la promotion des cosmétiques, Brownmiller souligne que cette promotion associerait la beauté féminine au maquillage du visage. Seule une femme interrogée a soulevé ce point . Compte tenu de l'ampleur que semble prendre ce message chez elle, et parce qu'il dénoterait une sexualisation de son corps, nous avons cru bon en discuter ici. Parlant de l'importance qu'occupe le maquillage pour elle, Tara croit que les femmes sont beaucoup plus belles lorsqu'elles sont maquillées: "Sur le point de vue de l'apparence euh c'est normal euh on est plus jolie euh maquillées les femmes. Euh c'est, c'est évident." (sic) (5-23.1) Pour elle, se maquiller revêtirait une importance considérable car elle irait y chercher la validation de sa "beauté": "C'est pour ça que je dis que c'est important de temps en temps. Même se maquiller quand on est dans la maison. Juste pour te dire là "aie, t'es, t'es belle en réalité là"." (sic) (5-26) Brownmiller estime qu'on laisserait croire aux femmes que leur visage est blême, inintéressant et insignifiant sans maquillage. Un tel visage ne susciterait pas d'intérêt chez les hommes et ce serait là la fonction du maquillage, c'est-à-dire rendre le visage féminin plus attrayant pour l'homme. Soulignant cette fonction du maquillage, Tara juge que maquillée, elle est plus attrayante. Non seulement le maquillage la rendrait-elle plus attrayante, mais il lui permettrait d'être une autre personne: "Une fois que je suis maquillée pis bien habillée euh je suis une autre. Je suis une autre personne. J'suis vraiment plus attirante." (sic) (5-22) La preuve certifiant le caractère plus séduisant de son visage une fois maquillé serait qu'elle suscite de l'intérêt chez les hommes: "Je le sais que même si je me maquille, je suis enceinte tout ça, j'ai une belle apparence pis euh je suis assez jolie. Pis euh je me dis euh c'est pour ça quand même qu'ils sifflent pis tout ça." (sic) (5-23) De plus, le maquillage aurait un impact sur son humeur: "Quand je change euh tsé même quand je me maquille euh juste dans la maison, euh je suis plus de bonne humeur." (sic) (5-28) Brownmiller affirmait que le maquillage avait pour fonction de rendre le visage féminin attrayant. Nous y rajouterons une autre fonction, celle de susciter l'intérêt sexuel de l'homme voire le séduire. Le maquillage cacherait ce qui ne pourrait être montré sous son vrai jour. Il enjoliverait ce qui ne le serait pas naturellement, métamorphoserait le caractère de la femme et lui permettrait alors d'attirer l'attention de l'homme. Ce serait par lui que sa valeur lui serait reconnue. Nous rejoignons ici la pensée de Dessureault et Daigneault qui, dans leur ouvrage portant sur l'obsession de la minceur, affirment que le corps des femmes aurait une fonction ornementale. Les femmes se devraient donc de prendre soin d'elles car, tel un objet, leur valeur leur serait reconnue par un autre qu'elles-mêmes: "Socialement, le corps des hommes a une fonction instrumentale: ils s'en servent pour agir, bâtir, tandis que ce qui est dévolu au corps des femmes, c'est une fonction ornementale. Elles doivent plaire, séduire et cultiver leur beauté afin d'être reconnues socialement." [Lyne Dessureault, Dominique Daigneault, L'obsession de la minceur: un guide d'intervention, Verdun, Centre des femmes de Verdun, 1991, p. 99.] Nous compléterions cette pensée en ajoutant qu'à sa fonction ornementale (améliorer sa beauté) s'allierait sa fonction de séduction (plaire à un éventuel acquéreur). La valeur de la femme lui serait reconnue lorsqu'elle aurait pris soin de rehausser son apparence et les attributs de son corps. C'est une fois qu'elle aurait pris le soin de "s'arranger" c'est-à-dire de s'embellir et de faire ressortir le potentiel sexuel des parties de son corps, qu'elle aurait à se servir de celui-ci pour séduire l'homme. Cela ne se ferait pas uniquement à l'aide du maquillage et de l'apparence soignée. Cela demanderait à la femme une utilisation adéquate de ses attributs physiques. Ainsi, la femme prendrait soin d'utiliser ses yeux (faire les "beaux" yeux), son sourire (faire son plus "beau" sourire) et sa posture (être la "mieux" placée) de façon juste c'est-à-dire de façon à se mettre en valeur et de s'avantager. Line soulève ce point: C'est juste des petits sourires. Pis ben souvent, ça fonctionne très bien ça (rires). Y'aime ça le monde. (sic) (3-4) La femme va essayer de séduire. Carrément. Avec les yeux, la façon qu'elle est, elle rit, son comportement, tsé sa façon de se placer, de s'asseoir... (sic) (3-10) Donc, c'est comme tu fais les beaux yeux en parlant, les sourires en coin tsé, toutes sortes d'affaires pis quand l'autre tu vois qu'y'a compris, y'a catché, il va te regarder. (sic) (3-34) Les travaux de Haug et al. ont permis d'identifier comment les parties du corps de la femme telles que ses yeux, ses hanches, ses jambes étaient utilisées pour susciter l'intérêt sexuel de l'homme. La femme veillerait à bien les placer, à bien les mettre en valeur afin d'obtenir l'effet escompté. Par le caractère séduisant qu'elle dégagerait, elle y trouverait sa valeur. Elle serait une femme, une femme sexuelle. Tout comme Tara l'avait souligné pour le maquillage, Line soulève le caractère valorisant qui semblerait relié au fait de prendre soin d'elle afin d'être plus séduisante: "Premièrement, on est plus confortable pis euh on est plus séduisante pis on est plus, pour nous on se valorise en faisant ça. On se trouve belle tsé." (sic) (325) Être maquillée (soin du visage) et être à son "avantage" (soin de l'apparence physique) demanderaient à la femme qu'elle se prodigue des soins particuliers. Comme Line nous le fait remarquer, ces soins se retrouvent tant au niveau général (le bain) qu'au niveau spécifique (les ongles): "Tu t'encourages à prendre plus de bains ben à mettre plus de parfum dans ton bain tsé des affaires dans le fond qui prennent du temps. T'arranges tes ongles, te maquiller le matin, cacher tes cernes tsé. C'est ça." (sic) (3-50) Les soins que la femme apporte à son corps se différencieraient de ceux que l'homme apporterait lui-même au sien par l'importance que prendraient chez elle les soins relevant du niveau plus spécifique. Ils iraient du soin des ongles au soin des jambes en passant par le remodelage de certaines parties du corps, soit les seins, le visage, le ventre, les fesses, etc.. L'étendue de même que la gamme des soins particuliers que la femme apporterait à son apparence ne trouveraient pas leur équivalent chez l'homme. Ces soins, auxquels les femmes semblent devoir se plier, leur demanderaient du temps. Ce temps qu'elles prennent à mettre leur corps en valeur les inciterait à se centrer énormément sur leur apparence physique, c'est-à-dire sur l'aspect extérieur d'elles-mêmes. Elles s'occuperaient alors d'elles-mêmes comme on s'occupe d'un objet. Appliquées à se métamorphoser, les femmes s'éloigneraient par le fait même de ce qu'elles sont réellement. Elles se distancieraient de leurs propres désirs afin de se conformer aux exigences qu'on attendrait d'elles. Cette distanciation se poursuivrait jusqu'à leur désir sexuel qui serait exprimé en conformité avec les attentes perçues chez l'autre. Nous nous interrogeons à savoir si ces exigences seraient créées en fonction des femmes elles-mêmes ou en fonction de l'homme. Il existerait un moment spécifique où la femme devrait mettre son corps voire sa "beauté" en valeur. Ce moment surviendrait en présence masculine. Faisant référence au moment où elle peut se mettre en valeur, Line démontre un certain plaisir à le faire: "C'est comme moi, moi j'aime ça les petits déshabillés, les trucs. J'aime ça me montrer quand c'est le temps tsé. Pas tout le temps. Quand c'est le temps. J'aime ça attirer l'autre comme tsé..." (sic) (3-33) Le temps investi par la femme à l'entretien de son corps, à la mise en valeur de celui-ci ainsi qu'au plaisir qu'elle prendrait à le faire dénoterait une participation active de la femme à sa propre sexualisation. Haug et al. rappellent que la participation de la femme laisserait croire à son autonomie et à son pouvoir. Toutefois, sa participation ne serait active qu'à l'intérieur d'un cadre social prédéterminé, celui-ci étant déterminé par les hommes en fonction d'eux-mêmes. Ayant appris très tôt à se conformer aux normes, la femme y aurait aussi appris à composer avec les limites définies voire même à les faire siennes. Nous avons vu que la femme serait active dans sa propre sexualisation. Ce serait aussi elle qui participerait à la métamorphose de son apparence physique. La femme y participerait, mais nous pouvons questionner le choix qu'il lui serait laissé d'y participer. L'industrie des cosmétiques et de la mode semble encourager cette participation par la valorisation de la métamorphose de l'apparence physique de la femme. Cette métamorphose de son apparence physique semble également éloigner la femme de ses propres désirs voire de son propre désir sexuel. Dans le prochain article, nous étudierons le rôle du vêtement dans l'univers des femmes. |
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