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Exploration du désir sexuel chez quatre femmes dans une perspective féministe

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3.3.3 Plaire à l'autre à tout prix

Les auteures féministes françaises ont démontré à travers leurs écrits comment la femme n'aurait droit à son existence qu'à travers des balises masculines. Ce serait l'homme qui la nommerait, la définirait et lui attribuerait son statut. Il semblerait alors naturel qu'elle cherche à lui plaire. Dans cet article de notre étude, nous verrons l'importance que semble prendre le désir de plaire à l'autre chez nos sujets. Plaire à l'autre leur demanderait de faire abstraction de leurs propres besoins et désirs, incluant leur désir sexuel, afin de répondre aux attentes de l'autre.

Chacun de nos sujets affirme avoir connu un moment où elles s'oubliaient afin de plaire à l'autre. Cela serait arrivé, entre autres, au moment de leur relation avec leur ancien conjoint violent. Elles semblaient alors chercher à plaire à l'autre et n'écouter que très peu leurs propres besoins. Lors des entrevues, toutes étaient célibataires depuis plusieurs mois et semblaient manifester le besoin de se centrer sur leurs propres désirs et besoins.

France croit que les femmes seraient faites ainsi. Elles s'oublieraient pour faire plaisir aux autres et ce, plus souvent qu'autrement. Cela ferait partie de l'éducation des filles: "C'est dans notre éducation ça. On est habituée à plus plier pis à faire plaisir à l'autre que qu'est-ce que l'autre peut faire pour nous autres tsé." (sic) (2-67) Au niveau sexuel, France n'aurait jamais trouvé d'excuses pour refuser de faire l'amour. Elle savait s'affirmer et s'y serait sentie très à l'aise. Par contre, il lui serait arrivé d'avoir des relations sexuelles uniquement dans le but de plaire à l'autre. Elle n'y aurait ressenti aucun plaisir: "Fait que je le faisais avec juste pour lui faire plaisir mais j'avais aucun plaisir, aucun." (sic) (2-6)

Pour sa part, Myriam définit ses relations sexuelles avec certains hommes comme n'étant pas de l'amour mais un désir pour l'autre personne. Elle aurait assouvi ses désirs à lui et aurait laissé ses propres désirs de côté.

Les affaires de "saisissage" que je te parlais tantôt, tu comprends-tu que là je n'avais plus d'amour pour la personne mais c'était un désir pour l'autre personne et non pour moi. J'assouvais ses désirs à l'autre personne. (sic) (4-51)

Myriam est celle qui, parmi nos sujets, serait la plus centrée sur les besoins et désirs de l'autre. Elle serait à l'opposé de ce que Collin définit comme un désir pour soi qui serait de s'aimer elle d'abord sans vouloir plaire à l'autre à n'importe quel prix, et ce au détriment de soi-même. Elle chercherait à répondre le plus possible aux goûts de l'autre. Elle se renseignerait sur ses fantasmes et tenterait de les concrétiser du mieux qu'elle pourrait: "Je vais en parler avec le gars, lui dire "c'est quoi ton fantasme?" Si je suis capable de l'assouvir, je vais le faire." (sic) (4-36)

Toujours dans le but de plaire encore plus à l'autre, elle questionnerait aussi ses autres désirs: "Mais, là, quand on aura fait sa découverte, son fantasme, je vais l'assouvir, pis là après je vais lui dire "qu'est-ce que t'aimerais encore?"" (sic) (4-36) Dans ses relations sexuelles antérieures, Myriam ne se serait pas impliquée. Elle en aurait "oublié" ses propres besoins et désirs pour mieux laisser la place à ceux de l'autre. Elle n'aurait pas, à certains moments, fait part de ses goûts, de ses attentes, ni de ses déceptions à l'autre: "Avant je ne m'impliquais pas. Je ne parlais pas. Je me laissais aller comme on dit tsé. "T'as aimé ça? Ah oui, oui, j'ai aimé ça". That's it, bonjour." (sic) (4-10)

Il lui serait arrivé très souvent de jouer le jeu et de simuler le plaisir lors de la relation sexuelle. Lorsqu'elle n'aurait pas ressenti de désir sexuel pour l'autre personne et que cette dernière lui aurait fait des avances, elle n'aurait pas exprimé son opinion ni son sentiment. Elle se serait centrée sur le désir sexuel de l'autre pour ensuite se moduler, tel que l'explique Collin, sur le désir sexuel de l'autre. Elle se serait fondue dans son désir sexuel: "Je me laissais aller par rapport à l'homme mais je ne pensais pas à moi dans ce temps-là. Tu comprends-tu? J'embarquais dans son jeu à lui pis that's it." (sic) (4-10) Quand elle faisait cela, elle ne se serait pas sentie elle-même: "Des fois ils le savent pas que parce que j'ai joué le rôle, que j'ai joué le jeu hypocritement comme on dit mais dans le fond, c'était pas moi tsé." (sic) (4-7) Très souvent, le sentiment qu'il lui serait resté était celui de la déception: "Ah ça quand est-ce que ça m'arrive... ça m'a arrivé souvent. J'étais très, très déçue." (sic) (4-8)

Vouloir plaire à l'autre de même que chercher à répondre aux besoins de l'autre se retrouveraient tant chez l'homme que chez la femme. Toutefois, nous avons déjà noté que la femme semble avoir besoin de vêtements séduisants, d'avoir le visage transformé par le maquillage et d'user de finesse et de stratégie dans sa séduction si elle veut répondre aux besoins de l'autre, de l'homme. Tout cela exigerait d'elle qu'elle se transforme afin de lui plaire. Chez l'homme, en général, les artifices ne seraient pas nécessaires et aucune transformation ne semblerait lui être utile.

Même si son désir sexuel est très éveillé présentement, Line ne voudrait pas avoir de relation sexuelle. Au lendemain d'une séparation, elle estime qu'elle remplacerait son désir de vivre sa sexualité par son désir de plaire à l'autre: "Parce que dans le fond, je remplacerais mon désir de plaire. En pensant que je vis ma sexualité, je remplacerais ce désir de plaire à l'autre au lieu de me dire moi, qu'est-ce que je veux?" (sic) (3-91) Le désir sexuel qui serait le sien serait celui qui ferait en sorte qu'elle se plairait elle-même et ne ferait pas les choses en conséquence du désir sexuel de l'autre. Ce serait alors ce que Collin nomme le désir pour soi. Dans ses relations passées, elle aurait souvent confondu ces deux formes de désir: désir sexuel et désir de plaire à l'autre. Elle n'aurait pas eu de désir sexuel qui lui eût été propre ce qu'elle aurait associé à une forme de prostitution.

Je sautais quasiment sur le premier venu parce que euh c'était même pu le désir sexuel. C'était plus le désir de plaire à l'autre que j'avais. Aucun désir sexuel à moi, propre à moi. C'était le désir sexuel de l'autre que je captais, que moi je voulais lui plaire. Dans le fond, c'est quasiment la même chose que de se prostituer. (sic) (3-87)

Cixous et Clément sont d'avis que l'homme nommerait et définirait la femme, principe que nous retrouvons également chez Line. Le regard que poserait l'autre sur elle semble être ce qui orienterait ses comportements: "Tsé tu vas penser que si tu bouges de telle manière, il va penser telle affaire là tsé. T'as peur du jugement de l'autre." (sic) (3-28) Il normaliserait son comportement ou en ferait une déviation. Elle voudrait s'ouvrir à l'autre, être elle-même, mais serait confrontée aux jugements de l'autre: "C'est comme tu veux t'ouvrir mais t'as continuellement des contraintes. Ouais ben il va penser telle affaire. Il va tsé... Qu'est-ce que l'autre a dit, a pensé ou commentaires tsé. C'est plein d'affaires de même." (sic) (3-41) Ces jugements seraient difficiles à vivre car c'est à travers ces regards qu'elle saurait qui elle est et qu'elle connaîtrait sa valeur.

Irigaray, dans son livre Spéculum de l'autre femme, affirme que suite à la "castration accomplie" de la femme, celle-ci se retrouverait dépourvue d'images valides et valables de son sexe. Nous croyons que cette absence d'images ferait en sorte de maintenir la femme dans le regard de l'autre. Cela aurait pour conséquence de laisser à l'autre le soin de la définir et de lui définir son désir sexuel. Elle devrait pouvoir s'en détacher afin d'avoir accès au désir sexuel pour soi. Décrivant ce rôle de la passivité chez la femme, Cixous et Clément affirment qu'en dehors de la passivité la femme n'existerait pas: "Ou la femme est passive ou elle n'existe pas." [Hélène Cixous et Catherine Clément, La jeune née: Dessins de mechtilt, Paris, Union générale, 1975, p. 118.] Nous compléterions cette affirmation en ajoutant qu'il serait difficile à la femme de sortir du regard de l'autre quand elle sait que cela signifierait se retrouver hors des normes et sans existence reconnue, sans reconnaissance de son propre désir sexuel.

Dans les trois articles que nous venons de présenter, nous avons étudié les éléments qui semblent composer l'identité féminine. Nous avons vu comment la féminité amènerait la femme à être un objet sexuel plutôt qu'un être sexuel actif. Les critères définissant la femme comme étant féminine seraient établis en fonction de balises masculines. Ainsi, la femme se trouverait à rechercher le regard de l'homme car ce serait lui qui la valoriserait et la définirait. Ayant peu accès à une image féminine autre que celle définie par l'homme, elle se retrouverait sans existence reconnue. Nous définissons l'objectivation de la femme comme étant un processus empreint de normes et de balises masculines en ce qui a trait son identité. Ce processus d'objectivation de la femme nous apparaît avoir un effet sur l'expression du désir sexuel des femmes en éloignant la femme de ses propres désirs et en la rendant davantage au service de ceux des hommes.

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