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Exploration du désir sexuel chez quatre femmes dans une perspective féministe

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3.5 La confusion quant à la définition du désir sexuel

Dans cette section de notre étude, nous cherchons à comprendre la raison de l'existence d'une confusion retrouvée à l'intérieur de nos données au niveau des termes et des concepts se rapportant au désir sexuel féminin. Nous y verrons comment cette confusion quant à la définition et à la description du désir sexuel semble reliée au façonnement du désir sexuel féminin. Ce façonnement se traduirait par le rétrécissement et l'étranglement du désir sexuel des femmes en lui imposant des normes quant à son corps et en le reliant à des notions telles que la relation sexuelle et le désir d'avoir un enfant. Le désir sexuel féminin semble n'avoir droit à son existence qu'en lien avec plusieurs concepts tels que le désir de plaire ou le désir d'avoir un enfant. Sans liens avec un ou plusieurs concepts qui lui seraient rattachés, l'expression du désir sexuel de la femme ne pourrait avoir lieu. Les écrits émanant des courants de pensée du féminisme de la fémelléité et ceux émanant du féminisme radical matérialiste supporteront notre réflexion.

Nous remarquons, chez nos sujets, une difficulté à définir le désir sexuel. La difficulté semble résider dans la distinction à établir entre le désir sexuel et la relation sexuelle en soi, de même qu'en l'utilisation de mots concrets pour définir une notion abstraite. Parlant de son désir sexuel et éprouvant de la difficulté à le dissocier de la relation sexuelle, Myriam affirme: "Y'en a qui vont dire que le désir sexuel c'est seulement physique. Oui c'est physique, c'est vrai. Mais je prends toujours mes cinq sens aussi pour le désir." (sic) (4-3) "Ce que je veux dire moi c'est que je ne prendrai pas euh... juste physiquement. Tsé j'veux dire pour le désir. Non, je vais utiliser les cinq sens aussi. Autant, comme je te disais tantôt, l'odorat. je vais essayer d'utiliser le toucher euh..." (sic) (4-4) Soulignant l'existence d'une différence entre son désir sexuel et celui des hommes, il n'y semble pas clair que Myriam ne fait référence qu'au désir sexuel.

Je parle pour moi que eux autres le désir... bon that's it y'on une femme ça finit là tsé. Bon eux autres, ça finit là leur désir. C'est comme, c'est comme genre animal tandis que moi non. J'vas plutôt euh... massage. J'vas plutôt euh... ou l'odorat, un huile. Tsé je vais utiliser beaucoup, beaucoup de choses. (sic) (4-5)

De la même façon, Line nous fait part: "Ben le désir sexuel, c'est comme la moitié d'une relation. Il faut que ça soit là. Mais tsé y'a d'autres choses. Y'a pas juste ça. Y'a d'autres choses." (sic) (3-43) De son côté, Tara semble éprouver de la difficulté à dissocier son désir sexuel du plaisir qu'elle ressent lors d'une relation sexuelle. Parlant d'un orgasme intense qu'elle aurait ressenti lors d'une relation sexuelle avec un homme, elle nous exprime ceci.

Je penserais pas qu'un homme va me faire venir euh autant que euh si je pogne un autre. Je le sais pas. C'était la première fois que je pognais ça, pis tsé... C'était tsé... Ah câline... C'était étonnant pour moi. Je ne savais même pas que j'avais ce désir-là, tsé point de vue de... jusqu'à ce point-là. (sic) (5-38)

D'autre part, à l'instar des auteures féministes françaises, les sujets sont abstraites voire métaphoriques dans la description qu'elles font de leur désir sexuel. Il semble ardu de dépeindre un concept invisible en termes clairs. Line s'exprime en ces termes en décrivant son désir sexuel: "Comme une collection comme plus haut. C'est peut-être pas physique, mais... cosmique quasiment. C'est comme l'interaction, l'énergie... de chaleur." (sic) (3-43)

Malgré cette difficulté des sujets à définir et à décrire leur désir sexuel, nous sommes à même de percevoir, à travers les données recueillies, une tendance quant à la définition du désir sexuel. La majorité des sujets définissent le désir sexuel comme semblant être un besoin: "Mais euh, le désir sexuel, c'est quelque chose je pense qu'on a besoin pour vivre." (sic) (2-1) "Oui, c'est comme un besoin à assouvir." (sic) (4-24) Le désir sexuel serait un besoin naturel qui serait nécessaire pour vivre au même titre que se nourrir, de telle sorte que lorsque le besoin ne serait pas comblé, il y aurait un manque qui se ferait sentir: "Ça doit être parce qu'un moment donné t'es en manque hein, ça se peut-tu ça? Un moment donné tu dois être en manque. Ça se peut-tu? En tout cas. Moi c'est de la manière que je vois ça." (sic) (2-51)

Line ne partage pas cet avis. Pour elle, le désir sexuel serait plutôt une attirance envers une autre personne. Il se manifesterait physiquement sous forme de bouffée de chaleur. Il serait une attirance qui pourrait être physique, mais aussi cosmique. Elle le définit comme une énergie de chaleur qui la rendrait "tannante" (sic) et la pousserait à chercher quelqu'un.

C'est une méchante question. Le désir sexuel, c'est ton corps qui... qui te dit... c'est des feelings... je sais pas... des chaleurs. C'est comme des bouffées de chaleur pis là tu commences à te regarder pis tu vois tous les beaux gars, super beaux. C'est ça le désir sexuel pour moi. Pour moi, c'est sentir comme une attirance. Tu te sens ben taquineuse là. Tu commences à être tannante, baveuse là. C'est ça le désir. Pour moi, c'est ça. (sic) (3-2)

Définissant le désir sexuel comme étant un besoin, Myriam indique elle aussi comment se manifesterait son désir. Elle utiliserait ses cinq sens: "Euh, pour moi le désir sexuel ça rapport pour moi à un... les cinq sens. Autant pour le toucher, autant pour le goût, autant pour l'odorat. Pour moi, ça rapport avec les cinq sens." (sic) (4-3) Cette dimension du désir sexuel semble importante pour Myriam qui en ferait une exigence essentielle à l'émergence de ce dernier. La musique et l'ambiance prendraient alors chez elle une place importante.

Parce que disons que j'embarque dans la musique. Tsé mettons un exemple, je vais prendre une musique relaxante, je vais prendre une musique sans, sans phrases, je vais juste euh le son, mettons des vagues, des oiseaux, des choses de même, on dirait que là tsé j'ai des frissons partout. Tsé il me semble que j'embarque plus dans, dans cette chose-là. (sic) (4-7)

Tsé, mettons, comme je disais tantôt dans mes cinq sens, la musique pour moi est importante. Tsé j'veux dire, j'vas plus euh... mon désir va être plus fort comme mettons par rapport à la musique. (sic) (4-6)

Pour Myriam, le romantisme semble y occuper aussi une place de choix: "Pour moi, il me faut du romantisme, de la sensualité. Il faut que tout ça se déroule comme ça" (sic) (4-25) Pour sa part, France semble établir une distinction entre son désir sexuel et le romantisme. Soulignant l'âge auquel elle aurait commencé à avoir du désir sexuel, elle est claire à ce sujet.

À 11, 12 ans c'est le rêve, le romantisme. C'est pas du désir sexuel là. C'est plutôt du romantisme. Du désir sexuel, ça commence peut-être vers 16, 17 ans. Pas avant... oh non. J'ai été tard moi. (sic) (2-38)

Il nous est apparu difficile de questionner plus amplement nos données empiriques concernant cette perception du désir sexuel comme étant un besoin. En effet, dès que nos sujets élaboraient sur ce point, nous étions confrontées à la confusion existant chez elles entre le désir sexuel, la sexualité et l'orgasme. Nous ne savions, dès lors plus, de quoi elles parlaient au juste.

La confusion de nos sujets concernant la définition du désir sexuel se différencierait toutefois de la confusion que nous notions dans les écrits des auteures féministes françaises en ce qui a trait au désir sexuel. Nos sujets semblaient confondre, à l'intérieur même de leur discours, le désir sexuel, la sexualité et/ou l'orgasme. Par contre, les auteures féministes françaises confondraient quant à elles le désir de s'accomplir, le désir d'avoir un enfant et/ou le désir de plaire, avec le désir sexuel.

Cette confusion dans les termes et les concepts de la définition et de la description du désir sexuel n'est pas sans soulever quelques interrogations. Comment expliquer cette confusion? Serait-elle typiquement féminine? D'où viendrait-elle? Serait-il possible de parler de désir sexuel sans ambiguïté et/ou sans association avec d'autres concepts?

Tenant compte de la perspective féministe de notre étude, nous cherchons davantage à comprendre la raison de l'existence de cette confusion notée chez nos sujets ainsi que chez certaines auteures féministes. Il semblerait que les femmes que nous avons rencontrées percevraient et vivraient leur sexualité comme un tout où le désir sexuel, le désir le plaire, l'amour, la relation sexuelle, etc. feraient partie intégrante de ce tout. Le désir sexuel ne semble pouvoir exister qu'en lien avec un ou plusieurs concepts. Ceci expliquerait la confusion entourant la définition et la description du désir sexuel chez nos sujets. Ainsi, Collin, dans une perspective féministe, estime que le désir des femmes s'étendrait à l'intérieur d'une voie étroite façonnée par les normes imposées au corps de celles-ci. Nous compléterions cette affirmation en ajoutant que cette voie étroite serait composée du désir de plaire à l'autre, du désir d'avoir un enfant, de l'amour, de la relation sexuelle, etc. Cette voie rétrécirait et étranglerait le désir sexuel féminin et l'empêcherait de prendre sa véritable place, de se donner sa propre définition et sa propre description. Non seulement serait-il étranglé par cette voie, mais en dehors de celle-ci, le désir sexuel féminin ne semblerait pas avoir d'existence propre à lui.

Dans cette section de notre étude, nous avons vu que le désir sexuel féminin semble ne pouvoir exister qu'en lien avec un ou plusieurs concepts. Dans la prochaine section, nous approfondirons le lien semblant exister entre le désir sexuel féminin et l'amour. L'amour serait un facteur particulier associé directement au désir sexuel féminin.

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