Le site de la rencontre amoureuse sérieuse.
N°Annonce

Mot de passe

Garder en mémoire

Exploration du désir sexuel chez quatre femmes dans une perspective féministe

[Section précédente] Table des matières "[Section suivante]

3.6.2 Un choix limité des images offertes

La constatation de liens existant entre amour/désir sexuel amène pour nous, outre celui du contrôle social de l'amour, un questionnement au niveau de l'image de la femme et du cadre à l'intérieur duquel elle semble pouvoir exprimer son désir sexuel. Nous questionnons ici l'image qui serait envoyée aux femmes en regard de l'expression de leur désir sexuel. Le désir sexuel féminin se manifesterait dans le cadre d'une relation amoureuse où la femme serait passive. La femme exprimant son désir sexuel hors de ce cadre serait perçue comme étant la mauvaise femme, celle à qui tous les dangers pourraient arriver. En fait, ce serait l'image de la madone et de l'anti-madone.

Seule Line a abordé ce dilemme existant au niveau de l'image de la femme exprimant son désir sexuel. Line est celle de nos femmes interrogées qui semble dissocier le plus l'amour et le désir sexuel. Exprimant parfois son désir sexuel sans amour, elle serait confrontée à une image négative. Elle deviendrait la prostituée, la putain et la salope. Elle serait soumise aux jugements négatifs des gens: "C'est comme tsé, tu te fais regarder. T'es si, t'es sale, t'es si, t'es ça." (sic) (3-27) Se laissant aller à vivre une sexualité moins reliée à l'amour, elle passerait pour une fille facile: "Quand tu te laisses faire, tu passes pour une si, pour une ça." (sic) (3-25) Il semble lui être difficile de vivre ces jugements. Il lui arriverait ainsi d'ignorer le gars qui l'intéresse plutôt que de s'avancer vers lui: "Ça m'arrive souvent ça. Je vais l'ignorer, parce que je ne veux pas que mes chums pensent que je veux me faire cruiser par lui là tsé (sourire). Ben c'est ça." (sic) (3-50)

Quoiqu'elle fut la seule à soulever ce problème au niveau des images de femmes exprimant leur désir sexuel, nous avons décidé de l'aborder ici car nous pensions pouvoir établir un lien entre ce fait et l'association amour/désir sexuel retrouvée dans nos données. Serait-il possible que seules deux images soient offertes aux femmes pour exprimer leur désir sexuel? Nous croyons que oui. Ces deux images laisseraient à la femme un choix limité quant à l'expression de son désir sexuel. Elle ne pourrait manifester son désir sexuel autrement que par le biais de l'amour afin de continuer à recevoir la valorisation positive. Autrement, la valorisation lui étant dévolue serait négative.

Très tôt dans l'enfance, les filles seraient soumises aux différentes images de femmes. Par le biais, entres autres, des dessins animés et des vidéoclips, les filles apprendraient quel genre de femmes manifestent leur désir sexuel. Dans un article traitant du sexisme dans les dessins animés, Vézina rapporte que les femmes apparaîtraient plus souvent que les hommes dans des rôles au foyer ou familiaux, qu'elles ne manifesteraient pas un haut degré d'intelligence, qu'elles seraient moins nombreuses que les hommes et qu'elles seraient incapables de proposer aux fillettes des rêves d'indépendance, de dépassement ou d'originalité.

De leur côté, Baby et al. se sont penchés sur l'image des femmes projetée à l'intérieur des vidéoclips présentés à la télévision. Ils estiment que les personnages féminins auraient une connotation sexuelle dans la majorité des cas et qu'ils seraient caractérisés par des attitudes ou des comportements les présentant dans une lumière plus négative que positive.

Ce contraste au niveau des images présentées aux filles se poursuivrait à l'âge adulte. On remarque que la télévision, la publicité et les livres prendraient la relève dans l'entretien de cette scission existant dans les images féminines. Au niveau de la publicité, quoiqu'il y aurait eu amélioration, l'image de la femme serait loin d'y être flatteuse. Le message n'y serait que plus subtil. Dans un dossier portant sur le sexisme dans la publicité, Nadeau révèle que les femmes semblent souvent représentées dans des situations faisant appel à leur sexualité où nous les verrions lascives et prises au piège, entourées d'hommes dont les intentions seraient très claires. Outre cette image, demeurerait présente l'image de la femme au foyer où on ferait appel davantage aux émotions et aux sentiments des femmes plutôt qu'à leur logique.

Cette division au niveau des images féminines se retrouverait aussi dans les livres. Les romans Harlequin contribueraient beaucoup à l'image sexuelle négative des femmes. Gagnon estime que l'héroïne y demeurerait une jeune fille d'une vingtaine d'années, pauvre, innocente et vierge. Cette femme apprendrait qu'aimer signifie, fondamentalement, renoncer à ses intérêts et à son autonomie et à se fusionner avec l'homme, en dépendre entièrement. L'amour y prendrait une valeur gratifiante et positive. La femme deviendrait une femme quand elle aurait accepté d'être dominée par l'homme. Elle vivrait alors sa sexualité sous le mode sado- masochiste. Gagnon affirme qu'ainsi serait alimenté le mythe du masochisme féminin présent dans notre culture.

La télévision québécoise semble être en voie de devenir une pionnière dans la présentation d'images féminines positives. Portant un regard sur l'image des femmes à l'intérieur des téléromans, Bordeleau souligne qu'elles semblent y être plus solides et batailleuses. Cela ferait même dire à certains que la télévision serait le lieu actuellement le plus influencé par les valeurs féministes. Abordant le domaine des livres et de l'image des femmes, Bordeleau estime que l'image de la femme cadrerait plus avec la réalité. Elles seraient fortes, intelligentes et travailleuses.

Quoiqu'une certaine percée commencerait à se faire au niveau des images, nous estimons que les deux principales images, soit la madone et l'anti-madone, seraient toujours plus régulièrement présentées et seraient fortement enracinées dans la culture. Selon nous, du temps devra passer avant qu'à ces images positives et valorisantes de femmes s'ajoute une dimension sexuelle qui serait elle aussi positive et valorisante.

Comme nous avons pu le constater, l'image des femmes qui nous est renvoyée de toutes parts (publicité, télévision, livres, dessins animés) contribuerait à alimenter deux images féminines totalement opposées. D'un côté, une où le désir sexuel de la femme ne serait pas apparent, et de l'autre, une où il serait manifesté par cette dernière qui serait toutefois jugée négativement. Tout comme l'ont exprimé Irigaray, dans son livre Le corps-à-corps avec la mère, ainsi que Cixous et Clément, nous croyons que pour exprimer son désir sexuel, la femme semble devoir prendre mille détours qui souvent aboutiraient dans la comédie. Ayant du désir sexuel, la femme ne doit pas le manifester car ce serait "sale". Quand elle voudrait l'exprimer sans être jugée négativement, elle se retrouverait devant rien pour s'identifier.

Élaborant sur le rejet par la femme de sa servitude à l'homme et de sa définition à elle par lui, Irigaray estime, dans son livre J'aime à toi: Esquisse d'une félicité dans l'histoire, que la femme se trouverait confrontée à des modèles d'identité féminine inexistants. Elle serait perdue, c'est-à-dire qu'elle se retrouverait sans image ni miroir qui la renverrait à son identité. Nous ajouterions à cela que la femme qui rejetterait les deux images de femmes qui lui seraient proposées concernant l'expression de son désir sexuel, se trouverait aussi confrontée à l'absence d'images pour s'identifier. Non seulement serait-elle sortie de l'identité féminine que l'homme aurait créée, se retrouvant ainsi sans définition propre à elle d'elle-même, mais au niveau social, elle n'aurait pas là non plus de définition de ce qu'elle est et de la façon dont devrait se manifester son désir sexuel.

[Section précédente] Table des matières "[Section suivante]